Direction ? Mardles !

Sortant de la majestueuse bâtisse dont la file d'attente pour l'entrée ne cessait de grandir, Della se rendit à l'auberge. Port-Masard était calme ce matin. Seuls les pêcheurs et les marins s'affairaient, mais dans la joie et la bonne humeur. La jeune femme en conclu que la mer devait être bonne pour une telle symbiose. L'auberge apparût alors à ses yeux. Deux personnes se trouvaient devant la porte en compagnie de la tenancière. Ils devaient surement venir pour réserver une chambre ... Le temps que la jeune femme arrive, ils s'étaient déjà séparés.

Della entra dans sa chambre et exposa son grand sac à dos sur son lit. Après cela, elle prit soin de plier ses vêtements, et ranger toutes ses affaires dans son sac. Elle le ferma, et sortit de sa chambre. Elle demanda à Ardone ce qu'elle lui devait pour les jours encore impayés. L'aubergiste sortit une petite tablette de son comptoir et lui répondit après quelques instants de réflexion. Trois fenks était le montant pour les nuits en trop. Della lui en donna 5, justifiant son geste ainsi :

"- Pour l'hospitalité et l'accueil chaleureux. Je te remercie beaucoup pour les moments passés ensemble.
- Merci à toi aussi. Au fait, où vas-tu aller maintenant ?
- Je compte retourner chez moi à Mardles afin de me ressourcer et pour une petite affaire à régler.
- Quelle coïncidence ! Je viens de quitter deux marins qui s'étaient reposés dans mon auberge durant la nuit. D'après ce que j'ai entendu de leur discutions, ils se rendraient à Mardles pour rapporter les marchandises chinées jusqu'à la pointe. Si tu te dépêches, tu devrais pouvoir les rattraper ..."

Le visage de la jeune femme s'éclaira en un instant. Elle venait de trouver un moyen de transport pour son voyage. Elle salua chaleureusement Ardone et courra en direction du port. Là-bas se trouvaient une bonne vingtaine de bateaux. Un peu plus de la moitié déchargeaient leurs cargaisons. Elle demanda alors les directions de chacun des navires s'apprêtant à lever l'ancre. Après plusieurs réponses du style de "Pas de femme à bord, ça porte malheur !" ou des destinations non désirées telles que La Pointe ou encore les côtes occidentales, Della trouva enfin le navire dont lui avait parlé la tenancière. Elle leur demanda alors si elle pouvait faire le voyage en leur compagnie, ventant ses qualités de cuisinière et d'ébéniste.

Une vingtaine d'écus ... Della compris alors qu'il s'agissait de sous de bronze et fit alors rapidement la conversion afin de comparer avec ce qu'elle possédait. Cela lui coûterait donc, en arrondissant, un fenk d'argent. La traversée de la mer Taultique pour un fenk, l'idée ne tourna pas trois fois dans la tête de la jeune femme. Cependant, elle ne pouvait montrer son désintérêt pour cette dépense si elle ne voulait pas la voir doubler. En effet, elle avait rapidement cerné la personne qu'elle avait en face d'elle. Bien habillé, bien coiffé et tentant à tous moyen de justifier sa hausse des prix, une simple émotion de travers pourrait signifier une hausse considérable du prix du voyage. Elle feignît alors une grimace, signifiant que le prix semblait surestimé à son goût. Cette mimique n'échappa bien sûr pas à l'œil expert de Gerhat qui renchérie tout de suite, expliquant précisément et un par un les coûts d'entretien du navire, les salaires de chaque matelot et les difficultés rencontrées lors de voyages sur la mer Taultique citant, pour appuyer son argumentation, les très fortes probabilités de mauvaises rencontres lors des voyages en direction de Mardles. Ces arguments tenaient la route et Della le savait, mais, étant sûre de pouvoir tirer quelque chose de cette négociation, continua ses mimiques, adoucissant son regard et mordant sa lèvre inférieure. Manque de chance, cette mimique là laissa de marbre son interlocuteur. Elle parla alors à Gerhat, se mettant sur un pied d'égalité.

" Vous moqueriez-vous de moi ? Pour ce prix, je trouve un marchand qui est près à faire la traversée de la mer verte ! Ce n'est pas parce que je suis une femme que ne connaît pas les prix du marché. Et à en voir l'accoutrement de ce matelot là, les salaires que vous m'avez annoncés sont un peu exagérés n'est-ce pas ? "

Gerhat laissa alors à son tour une grimace se former sur son visage alors que la jeune femme parlait. Il regretta alors d'avoir été aussi précis sur des détails qu'il savait erronés. Il disposa alors ses mains parallèlement au sol et les secoua de haut en bas, tout en produisant un souffle se répercutant sur ses dents, voulant surement signifier à la jeune femme de faire moins de bruits, ne voulant surement pas que d'autres clients potentiels se servent de cette information pour aller voir ailleurs. Après que Delamune se soit tue, il entama alors les vraies négociations.

"Très bien, très bien, vous avez raisons, mais voyez-vous, de moins en moins de monde désire partir vers le Nord avec les rumeurs qui courent sur le Marchand d'os. Cependant, les coups de réparations ont encore augmentés et les pillages répétitifs entament le moral de l'équipage. Ils réclament des augmentations à tour de bras, menaçant à chaque fois de mutinerie ..." Il tourna alors la tête de gauche à droite  afin de s'assurer qu'il n'était pas surveillé, puis avança la tête en direction de la Septane afin de lui glisser quelques mots à l'oreille. " Je vais vous proposer quelque chose : vous payez votre voyage vingt écus et vous pourrez vous reposer dans l'une de nos plus belles cabines ..."

Della fit alors mine de réfléchir puis accepta la proposition. Tout compte fait, elle voulait seulement ne pas avoir à payer plus mais, prise au jeu de la négociation, elle avait réussi à négocier un voyage qui s'annonçait plutôt agréable. Surprise d'ailleurs par cette performance, elle compris alors ce que lui disait sa mère à propos des négociations qui étaient maîtresses de tout commerce. Elle paya son interlocuteur qui demanda à un matelot de la guider jusqu'à sa cabine. Elle en profita pour regarder autour d'elle. Arpenté par des dizaines de marins, le pont était si propre qu'il brillait au soleil. Les voilures étaient imposantes et perchées à plusieurs mètres au dessus du pont. Surplombant ce dernier, le poste de pilotage se trouvait au dessus des cabines. Ils passèrent alors par l'une des trois portes réparties en contre-bas de la capitainerie. Ils marchèrent quelques mètres, passant une demi-douzaine de portes menant chacune à une cabine avant de rentrer dans l'une d'elles à tribord. Elle découvrit alors une pièce plutôt luxueuse, de forme rectangulaire et organisée de gauche à droite comme suit : une armoire en bois plutôt léger, adossée au mur de la porte; sur le mur de gauche, une table de nuit, un lit double, une seconde table de nuit; un hublot faisant face à la porte d'entrée et donnant sur la mer, et contre le mur de droite, un bureau et une seconde armoire. Elle posa alors son sac près du bureau et s'assit sur le lit afin de le tester. Elle s'enfonça un peu puis la résistance du matelas arrêta sa descente. Si elle s'était allongée et avait fermé ses yeux, elle se serait crue comme maintenue en l'air par un nuage. Ce qu'elle s'empressa d'ailleurs de faire. 

Gerhat frappa sur la porte de la cabine de la Septane et entra, interrompant le pseudo-someil de Della afin de lui demander si sa chambre lui convenait (qu'elle s'empressa de confirmer) et de l'avertir de leur départ imminent. Elle se leva alors de son lit, sortit de sa cabine en fermant la porte derrière elle, et se rendit sur le pont. Une fois arrivée à la garde qui l'empêchait de passer par dessus bord, elle vit le ponton d'embarquement s'éloigner. Personne n'était présent mis à part elle et les marins. Tous les passagers étaient restés dans leur cabine. Peut-être avait-il raison tout compte fait : les voyages vers le Nord ne sont pas occasions de réjouissances en Génélie ... Alors que Port-Masard s'éloignait, elle retourna dans sa chambre afin de finir la sieste qu'elle avait commencé.