Mer, Ciel et Terre

Les premières heures du voyage se firent sans grand changement pour Della. Porte fermée, elle n'entendait rien des ordres de direction et de vitesse donnés à l'équipage ni des enfants qui jouaient dans le couloir. Vers la fin d'après-midi, elle se réveilla et sortit de sa cabine pour se dégourdir les jambes et respirer l'air marin. Elle parvenait aisément à se déplacer jusqu'au pont, ajustant son équilibre à chaque tangage du navire.

Les remous étaient donc causés par cet orque. Et la fumée qu'elle avait cru apercevoir au milieu des nuages ne devait être qu'un jet d'eau issu de son orifice dorsal. Les vagues provoquées par le mammifère avaient secoué le bateau avec une telle violence que la moitié des passagers qui n'avait pas de hublot donnant sur la mer se trouvait sur le pont pour vérifier la source de cette perturbation. Deux enfants s'approchèrent alors du garde-fou sur lequel Della était appuyée. L'un d'eux portait une salopette bleue et un juste-au-corps blanc. De petites chaussures noires et une coiffure avec aspect coiffé/décoiffé surement du au fait qu'il l'avait été en début de journée et que la coiffure n'avait pas survécu aux divers jeux pratiqués. Le deuxième, ou plutôt LA deuxième, portait une petite robe blanche où se mêlaient petites fleurs roses et cœurs rouges. Des sandales roses ne déparaient pas comparé au reste des vêtements. La coiffure de la jeune fille n'avait elle non plus pas survécu aux amusements auxquels elle avait pris part. Tous deux sur la pointe des pieds, ils tentaient d'apercevoir l'orque avant sa disparition sous-marine. Quelle surprise ils n'eurent pas lorsque ce dernier eu sorti la tête de l'eau juste sous leurs petits yeux ébahis. Ce devait surement être la première fois qu'ils en observaient d'aussi près. Le mammifère marin s'amusait à nager aux côté du navire, s'imaginant une course de vitesse entre les deux mastodontes des mers. Le jeune garçon se tourna alors en direction de Della.

"C'est quoi, Madame ?"

Della n'avait pas l'habitude que l'on l'appelle 'Madame' mais comprit assez rapidement que cette parole lui était adressée. Elle s'agenouilla afin de se mettre à sa hauteur.

"Eh bien, vois-tu, c'est un orque. On les reconnaît à leur ressemblance avec leurs cousins les dauphins." Devant son regard curieux, elle compris qu'il fallait qu'elle explique un peu plus précisément, ne connaissant probablement pas ce qu'était un dauphin. "Tu vois ces tâches noires sur son dos ? Ce sont à ces tâches que lui et ses cousins les dauphins sont reconnaissables. Tu vois sa tête ? Eh bien les dauphins on une bouche plus allongée et une tête un peu moins grosse. Et cette sorte de nageoire sur son dos ? En faite ce n'est pas une nageoire mais un aileron. Il ne bouge pas mais lui permet de nager droit sous l'eau. Les dauphins aussi en ont un contrairement aux cachalots qui eut ressemblent beaucoup à leur cousine les baleines.", appuyant chaque question par des gestes sensés désigner l'endroit observé. Intéressée à son tour par les explications de la Séptane, la jeune fille avait suivi avec attention tous les détails donnés. Après qu'elle eût fini de parler, les deux enfants retournèrent au près de leur parents, qui venaient de se rapprocher. L'orque eût alors une accélération spectaculaire puis replongea, s'imaginant avoir gagné la compétition avec le navire.

"-Bonjour, je me présente, Donoïr Jordelp, cordonnier à Pontillies. (Pontillies est une bourgade à quelques lieux de Mardles en continuant vers les Terres.) Voici ma femme, Frellia et nos deux enfants Mati et Nalla. Veuillez les excuser mais ils sont très curieux tous les deux, bien que Nalla soit un peu timide.
- Bonjour. Ne vous inquiétez pas ils ne m'ont aucunement dérangé. Je trouve au contraire qu'il faut encourager cet esprit curieux chez les enfants car ils sont notre présent et notre futur et que la curiosité les aide à s'épanouir. Mon nom est Delamune Jarnepalson, ébéniste et fille d'ébéniste à Mardles ...
- Maman, la madame nous a dit que c'était à cause d'un Or... Org... Orque ? que le bateau avait beaucoup bougé ! Et puis elle nous a dit qu'ils ressemblaient à leurs cousins les Dauphins !
- C'est bien, tu en connais des choses maintenant !"

Donoïr regarda sa femme quelques instants puis se tourna à nouveau vers Della après un signe approbateur de sa femme.
"- Souhaitez-vous vous joindre à nous pour le dîner ? Cela nous ferait à tous très plaisir.
- Demandé si gentiment, comment refuser ?
- Alors on se dit, à tout à l'heure ?
- A tout à l'heure !"
Les quatre rentrèrent alors dans leur cabine. Le pont était à nouveau déserté par les passagers. Della décida alors de faire de même et de se préparer pour le dîner qui n'allait maintenant plus tarder.

Une fois dans sa cabine, Della ouvrit l'armoire où elle avait rangé ses vêtements. Elle chercha quelques instants à l'intérieur, sortant tantôt une robe longue et ample, tantôt un haut et une jupe, les posant devant son torse et se regardant dans la glace afin de trouver la bonne tenue, ni trop simple ni trop noble pour éviter de dépareiller avec la famille qui l'a invitée à dîner. Elle trouva alors la tenue idéale pour ce repas : une robe légère descendant jusqu'aux chevilles d'un bleu acier uni, un petit ruban bleu ciel de quelques centimètres de hauteur mettant en valeur ses hanches. Elle se coiffa puis sortit. Elle avança dans le couloir jusqu'à atteindre deux grandes portes de verre encadré de bois de chêne.

Ces portes ouvertes donnaient sur la salle commune qui s'était meublée de tables et de chaises pour l'occasion. Elle ne mit pas longtemps à retrouver la table de la famille Jordelp qui l'attendait. Ils s'étaient tous quatre habillé de manière très élégante, Mati avait un pantalon ajusté et une ceinture en tissu avec une chemisette et un veston à manches bouffantes (il est particulièrement ridicule là dedans) ainsi que des bottines en cuir vernies. Nalla portait une robe blanche avec un peu de dentelle et des rubans roses et un serre-tête, des gants en tissu blancs et des souliers en cuir rouges. Donoïr était quant à lui rasé de près et portait un pantalon gris anthracite décoré de broderies blanches et une chemise blanc-cassé aux boutons de nacre et col long surmontée d'une lavallière rouge sang ainsi que d'une veste bouffante de même genre que celle de son fils (mais qui le rendait tout au contraire de son fils très élégant), ainsi que des chaussures en cuir fin. Frellia était la plus joliment habillée autour de la table, comme le veut la tradition. un chignon bas assez élaboré additionné d'une plume de paon, une robe ample et un corset unis de couleur saumon parcourus de lacets décoratifs ainsi que de courtes bandes de dentelle. Elle portait un collier d'argent ornée d'un cristal et plusieurs bagues non lapidées faisant d'elle LA femme de la tablée. Della s'assit alors sur la chaise laissée vacante alors que Frellia analysait précisément la tenue de son invitée.

Della n'eut pas de mal à deviner que les Jordelp étaient des nobles qui se déguisaient en haut-bourgeois pour passer inaperçu durant le voyage, pensant pouvoir ainsi limiter le risque d'attaque du bateau. Son éducation à la Haute lui avait permis de reconnaître un noble dans n'importe quel accoutrement. Elle préféra ne pas en parler durant le repas, ce qui n'était pas pour déplaire à Donoïr qui espérait que son secret ne soit pas découvert.

"Quelle robe ... hum ... jolie.", se força de remarquer Frellia bien que l'ironie dans sa voie était très facilement détectable. Della accueillit la remarque en retournant la compliment, supprimant toute la partie ironique ajoutée par Mme Jordelp. Après un regard noir à sa femme comme pour rappeler que leur secret ne devait aucunement transparaître, puis il entama la conversation.

"Vous êtes ravissante. Alors comme ça vous êtes ébéniste. J'avais un ami ébéniste à Port-Masard. Il savait sculpter des meubles avec une telle finesse que le superviseur lui-même est venu lui commander l'ameublement de son bureau. Il n'était d'ailleurs pas peu fière ce jour là. Voilà qu'arrive bientôt le serveur. Je vous conseille une demi ration car ici ils ne lésinent pas sur la quantité.", il se tourna alors en direction du serveur qui venait de s'approcher de la table. "Il me faudrait trois demi rations et une complète.", puis se tournant vers Delamune, "et pour vous ?"
"Une ration complète s'il vous plait.", répondit-elle à la surprise générale. Frellia dévisagea alors Della, scrutant des pieds à la tête de la jeune femme le moindre détail qui pourrait expliquer une telle faim.
"Donc deux complètes et trois demis, c'est bien cela ?", confirma le serveur qui après approbation générale les salua et passa à la table suivante. Entre temps, un autre serveur était venue récupérer la commande afin de l'amener en cuisine.
Frellia trouva alors un petit ventre qui se formait chez la Septane, ne s'expliquant que de deux façons : soit elle était enceinte, soit elle aimait bien manger. Pour en avoir le cœur net, il lui fallait aborder délicatement la question afin de ne pas vexer.

"Et y a-t-il quelqu'un qui vous attende à Mardles afin de vous accompagner jusqu'à l'aut... euh jusque chez vous ?" Le manque d'alliance sur l'annulaire de Delamune ne laissa pas indifférente Mme Jordelp qui réussi de justesse à retenir un lapsus. Elle avait en effet écarté la seconde option (de l'amour de la nourriture) du fait de la bienséance irréprochable de Della.
"Eh bien pas à Mardles même mais un peu plus au Nord m'attend un Septan qui brille par son courage et son talent." Évidemment, Delamune mentait mais elle avait compris que Frellia avait remarqué et ne voulait en aucun cas que son histoire se sache. "Nous allons nous marier le mois prochain."

Pendant ce temps, le repas fût servit. Un potage de légumes, un steak de loup saignant accompagné de pommes de terre à l'eau. L'assiette de Della et celle de Donoïr étaient remplies à raz-bord tandis que, comme commandé, les assiettes des enfants et de Frellia étaient à moitié remplies. Ils mangèrent tous allègrement (et surtout Della qui mangeait pour deux). Les conversations aux sujets tels que la pluie et le beau temps ou les enfants étaient entrecoupées de quelques blancs signifiant que le repas était au goût des convives. Lorsque toutes les assiettes furent vides, le petit groupe se sépara afin d'aller se reposer. Della remarqua que la famille Jordelp possédait la cabine située à deux portes de la sienne. Petit détail sans importance mais remarquable. Elle ne s'était donc pas trompée sur la classe sociale de cette famille, sachant que les chambres voisines de la sienne étaient des cabines de grand standing. Elle n'eut pas de mal à s'endormir, la fatigue du voyage et le bruit des vagues se brisants sur le bateau aidant à son sommeil.

Soudain, un bruit retenti sur le pont, réveillant Della.

[jet de force mentale difficulté 2 pour résister à la fatigue et se motiver à aller voir la source du bruit]

Une goutte de sueur froide coulait le long de sa colonne vertébrale, lui procurant au passage un frisson incontrôlable. Elle ne savait pas ce qui l'effrayait le plus, la tête qui venait de rouler à ses pieds ou bien l'étrange bête qui lui faisait maintenant face. Mais elle n'avait pas la tête à cette question. Il fallait faire quelque chose, mais quoi ? Que faire face à une bête dont on ne connaît rien ? Tout ce qu'elle pensait savoir c'est qu'elle venait de décapiter froidement quelqu'un et qu'elle tenait encore la lame en ses main (enfin ce qui semblait être des mains). Pas de place à la réflexion, il faut agir !

[jet d'instinct]

Elle était tétanisée. Son cerveau était accaparé par sa peur et son instinct resta silencieux. Elle ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Ses cordes vocales elles aussi étaient tétanisées. Si elle n'avait pas des goutes de sueur froide dans le dos qui lui donnait des frissons, on aurait pu croire qu'elle était une statue. Tous ses muscles refusaient de bouger. Ses yeux s'habituèrent peu à peu à l'obscurité. Elle commençait à discerner  quelques détails de la silhouette lui faisant face. Elle ressemblait de plus en plus à une forme humaine. Mais une unique question vint alors à l'esprit de la jeune femme : Pourquoi ne fait-il rien ? Peut-être réfléchissait-il à ce qu'il fallait faire. Peut-être n'en voulait-il qu'à cette tête. Elle n'eut pas à réfléchir pour trouver la bonne réponse à cette question. La silhouette bougea brusquement sa lame en direction de Della. La pointe lui touchait désormais le cou. La silhouette se plia en sa direction et Delamune entendit alors un murmure.

A peine l'esprit avait-il disparu qu'elle voulu crier pour prévenir le marin mais sa tétanie l'en empêchait. Puis un sursaut lui vint lorsque le fantôme traversa le corps du marin, Du sang jaillissait de son thorax et venait jusqu'aux pieds de Della. La peur et la surprise furent ses deux seules émotions sur le moment. Le marin s'écroula à terre après que l'ectoplasme lui ait traversé le torse. Ce dernier vint de nouveau se placer au niveau de la jeune Septane mais cette fois il était désarmé. Cependant, un autre marin vint s'interposer. Elle réussie alors à murmurer des paroles incompréhensibles mais censées prévenir le marin. Ce fût un coup d'épée dans l'eau. Le second marin subît alors le même sort que son prédécesseur. Le fantôme se plaça alors à proximité de son oreille.

"Dépêchez-vous de les remonter à bord !", criait le capitaine. Ghérat faisait lui partit du groupe de marins accourant pour faire fuir l'âme. Une fois à l'eau, il aida Della à nager jusqu'à la bouée que les matelots venaient de lancer. Une fois à bord, les matelots se demandèrent quelle était cette créature qui venait de tuer trois d'entre eux. Mais la question qui trottait dans toutes les têtes était : Pourquoi n'a-t-elle pas attaqué la jeune femme ? Une serviette sur les épaules, Delamune rentra dans sa cabine afin de se remettre de ses émotions. Elle s'assit sur le lit et songea à nouveau à ce que lui avait dit l'ectoplasme. "Qos'Hatai", cela ressemblait à du Kuuhun mais qu'est-ce que ces paroles peuvent signifier ? Elle tenta alors de se souvenir des cours de Kuuhun qu'elle avait eu lors de son enfance.

"J'ai entendu un bruit sourd alors je suis sortie voir ce que c'était lorsque j'ai vu la tête d'un marin rouler jusqu'à moi. Alors le spectre s'est évaporé après avoir été frappé par un de vos collègue puis l'a transpercé devant moi. Je ne l'avais jamais vu au part avant je vous le garantie mais il s'est approché et ma murmuré <<Qos'Hatai>> puis 4 de vos matelots m'ont foncé dessus et nous somme tombé à l'eau. C'est tout ce que je sais et tout ce que j'ai vu."

Della avait beau leur expliquer et d'être la plus convaincante possible, ce qu'elle venait de vivre devait la perturber et enlever une part de crédibilité à ses propos. Enfin c'était la seule explication logique au fait que le capitaine et son matelot s'approchaient le regard noir, un poignard à la main. Elle tenta alors une ultime action ayant pour but de sortir de sa chambre et esquiver les coups des marins, de retrouver le second du capitaine, qui avait vu l'ectoplasme, et de convaincre ainsi le capitaine de la véracité de ses propos. Mais pour cela, il lui faudrait être agile pour sortir de sa chambre sans se faire attraper.

"Je suis désolée pour vos hommes. Je comprends bien votre réaction et j'aurais eu la même à votre place, cependant je souhaites vous assurer que je ne suis en rien mêlée à ce qui est arrivé ici mis à part en tant que victime. Je souhaite rester à bord pour les deux derniers jours de traversée qu'il nous reste avant le port de Mardles. Le jour va bientôt se lever et nous accosterons d'ici demain matin, le spectre n'aura, je pense, pas le temps de se montrer à nouveau. D'ici là je vous promet de rester dans ma cabine sauf pour les repas.
De plus, les côtes regorgent de pirates et ce serait prendre de gros risques que de s'en approcher."